L’auteur d’Outlander, Diana Gabaldon, s’est adressée à ses fans le 16 septembre 2023 lors d’une visite et d’une séance de dédicaces au Musée de la révolution américaine à Yorktown.
Transcription de deux passages de l’interview particulièrement intéressant ET inédit par Florence Fujarski et Brigitte Blanc
Source de la vidéo et page consacrée à l’événement sur le site du musée en cliquant sur l’image ci-dessous
Lecture d’un extrait inédit du tome 10 d’Outlander, traduit par Brigitte Blanc
Dans la vidéo, à partir de 38 min et 50 sec, Diana propose une lecture d’un passage du tome 10.
Au début, vous reconnaitrez l’extrait que j’ai intitulé « Camouflage » et qui figure déjà dans les extraits traduits ici.
Mais ce n’est pas tout ! Diana poursuit sa lecture pour notre plus grand plaisir !
Je vous laisse découvrir ce passage inédit, généreusement TRANSCRIT et traduit par Brigitte Blanc. Bonne lecture à tous 📖
Suite de Extrait n°21 du tome 10 : Jamie et William « Camouflage »
Proposition de traduction par Brigitte Blanc (communauté Patreon) – relecture Aurélie
Il faisait beau.
Le cheval, par son pas chaloupé, berçait William en lui apportant un vrai apaisement, son esprit étant encore à cran.
Ils avaient convenu que Savannah devrait être leur première destination et il avait hâte d’y être. Il y avait un paquet de lettres dans l’une de ses sacoches, soigneusement écrites et destinées à être remises à ses amis dans l’armée à qui il faisait suffisamment confiance pour qu’ils ne se moquent pas de de lui ou ne l’ignorent pas ; chacune de ses lettres demandait au destinataire s’il pouvait avoir des informations au sujet du Capitaine Elliot Richardson, du Palais, (NdlT : le bateau sur lequel Lord John est retenu prisonnier) ou du capitaine Dennis Randall.
Il espérait surtout que l’oncle Hal était revenu à Savannah, et il avait envie de revoir la maison, même si son oncle n’y était pas. C’était l’endroit qui ressemblait le plus à un foyer pour lui au cours de la dernière année ou presque. Et il sentait confusément que cela lui procurerait quelque réconfort s’il était proche des choses et des gens familiers, ne serait-ce que pour un petit moment.
Et il connaissait aussi des personnes à Savannah qui n’étaient pas dans l’armée. Il lui faudrait faire la tournée de leurs maisons à la recherche d’informations, pendant que Fraser parcourrait les quais et interrogerait divers capitaines de navire qu’il avait rencontrés alors qu’il travaillait à Savannah quelques années auparavant.
Ils s’arrêtèrent à midi, mangèrent un peu, et laissèrent les chevaux brouter. Ils mangèrent pratiquement en silence, chacun dans ses pensées, réfléchissant au voyage et à sa fin espérée.
William essayait de réprimer la partie de son esprit qui espérait désespérément trouver le Palais au mouillage à Savannah. Si c’était le cas, eh bien, ils prendraient d’assaut le bateau et exigeraient la liberté immédiate de Lord John, menaceraient de trancher la gorge de Richardson, voire même l’étrangleraient avec son propre foulard.
Il toucha le poids rassurant du pistolet de Highlander à long manche qu’il portait à sa ceinture et qui, comme Fraser le lui avait dit, pouvait aussi bien servir d’arme à feu que de gourdin.
« Seigneur, protège-nous ! » (Traduction approximative pour le premier mot…Diana est parfois difficile à comprendre) dit soudain Fraser et il se leva, faisant brutalement sortir William d’un agréable rêve éveillé où il se voyait en train d’éclater la tête de Richardson.
Un homme sur une mule s’approchait d’eux tranquillement, sans avoir particulièrement l’air pressé. Mais il les avait vus et il leva la main en guise de salutation.
Fraser marmonna quelque chose dans sa barbe en gaélique qui ne semblait pas tout à fait aimable, mais il secoua les miettes de son plaid et se dirigea vers la route.
William le suivit, curieux. Le gentleman sur la mule, si on pouvait l’appeler ainsi, stoppa tranquillement sa monture et sourit à Fraser. C’était un Indien, ce qui était confirmé par ses vêtements, un pantalon et des bottes en peau de daim, une chemise en calicot rose usée. Il portait un large bracelet en laiton brillant autour de son bras et un assortiment de colliers et de petites broches qui scintillaient à la lumière du soleil. Ses cheveux gris étaient attachés avec une ficelle et une seule plume noire, et ses yeux sombres pétillaient d’intérêt au milieu des plis de son visage.
« Eh bien, » dit Fraser en souriant. « Ma sœur a dit que vous reviendriez à la fin de la guerre. Est-ce qu’elle est vraiment terminée pour vous ? »
Alors, le gentleman indien inclina la tête comme pour réfléchir à la question, mais ses yeux se posèrent sur William.
« Ma guerre est terminée, oui » dit-il. Et il fit un signe de tête cordial à William. « Mais je crois que la tienne ne fait que commencer. »
Fraser émit un bruit de gorge écossais et fit un signe de la main vers la sacoche posée au sol et la moitié du « gâteau de voyage » (Voir épisode 511 « Journeycake ») à côté.
« Vous voulez manger avec nous ? »
« Je suis sûr que tu sais que ta sœur va me nourrir. »
Fraser marmonna autre chose dans sa barbe en gaélique et se signa.
Cela fit rire l’Indien.
« Mes excuses », dit Fraser, en s’inclinant légèrement vers l’Indien et en faisant un clin d’œil à William.
« Voici mon fils, William. William, voici Okàrakarakh’kwa, Sachem du peuple de Joseph Brand que tu connais peut-être. » « J’ai en effet entendu parler de ce monsieur, » dit William en s’inclinant respectueusement, tout en se demandant ce qu’était un sachem et pourquoi il avait des relations de quelque nature que ce soit avec la sœur de Fraser, par ailleurs une femme gentille mais redoutable.
« Vous êtes le bienvenu au Ridge« , dit Fraser dans un rictus. « Mais je suppose que vous le savez déjà. »
« Je suis venu avec l’espoir que ce serait le cas« , déclara le Sachem, et il sourit en montrant ses dents quasiment toutes en bon état.
« J’espère aussi vous être utile pendant votre absence. »
Fraser se raidit légèrement. Et l’Indien le remarqua.
« J’ai entendu dire que Frère du Loup était blessé« , dit le Sachem, le visage désormais sérieux. « Est-ce que ta femme dit qu’il va guérir ? »
« Oui, Dieu merci, mais cela prendra du temps. »
Le Sachem hocha la tête. « Qui te remplacera près du feu pendant ton absence, alors ? »
« Le mari de ma fille, Roger. Vous le connaissez, le prêtre. » (ndlt : Roger est pasteur, pas prêtre… Mais pour Jamie, qui est catholique, la nuance est importante. Cependant, William reprendra le terme de révérend un peu plus tard)
« Oh oui, je le connais. »
L’Indien se redressa légèrement sur ses étriers, regardant au-dessus de la route vers le Ridge invisible, caché dans les nuages et dans la forêt. Il regarda pendant un long moment, hocha la tête et se rassit sur la selle.
« Je ferai ce qu’il ne peut pas faire, Neuf Doigts« , (Surnom indien donné à Jamie par les Iroquois, rappel tome 9, chapitre 83) dit-il à Fraser. « Pars à la guerre le cœur en paix. »
Et, après un bref signe de tête à William, il talonna sa mule et s’éloigna lentement.
Fraser le regarda partir, puis fit signe à William de revenir pour terminer leur repas, ce qu’ils firent en silence.
William avait des questions, beaucoup de questions, mais il voyait que Fraser avait envie de réfléchir.
« Que veut dire… Hummm… Sachem ? » demanda William prudemment un peu plus tard, alors qu’ils reprenaient la route, « Que peut-il faire que le Révérend McKenzie ne puisse pas faire ? »
Fraser lui lança un bref regard comme s’il se demandait s’il devait répondre quelque chose, puis haussa les épaules et dit : « Tuer des gens« , sans s’en émouvoir.
*************************************
Traduction par Florence Fujarski de la fin de l’interview de Diana Gabaldon à Yorktown
Dans le cadre de l’exposition Règne et Rébellion
16 septembre 2023
La Fondation Jamestown-Yorktown est une institution éducative du Commonwealth de Virginie qui propose des programmes et des ressources sur l’histoire des débuts de l’Amérique par l’intermédiaire de ses musées – Jamestown Settlement et American Revolution Museum at Yorktown.
La fondation Jamestown-Yorktown encourage, par le biais de ses musées d’histoire vivante – Jamestown Settlement et American Revolution Museum at Yorktown – la prise de conscience et la compréhension des débuts de l’histoire, de la colonisation et du développement des États-Unis grâce à la convergence des cultures amérindienne, européenne et africaine, ainsi que des héritages durables légués à la nation.
Mariruth Leftwich :
Bonsoir à tous. Je m’appelle Mariruth Leftwich. Je suis directrice principale des opérations du musée et de l’éducation, avec la Fondation Jamestown Yorktown. J’étais présente à la toute première réunion lorsque nous avons parlé de la planification des programmes pour notre exposition spéciale, Règne and Rébellion. J’espère que vous avez eu l’occasion de la voir.
Lors de la toute première réunion, la plupart des membres du personnel ont dit qu’il fallait mettre l’accent sur Outlander. Et à l’époque, je n’avais ni lu ni regardé Outlander. Oui je sais, je suis l’une des rares personnes… l’une de ces rares personnes qui a dû rentrer chez elle et annoncer légitimement qu’elle devait lire et regarder Outlander pour le travail (rires).
Depuis je l’ai fait… et c’était incroyable !
J’ai pu voir, tandis que nous étions en train de développer l’exposition, la façon dont cette œuvre est vraiment liée à notre travail et à notre mission, comme Christy (la directrice exécutive) l’a dit tout à l’heure.
Nous allons donc poser quelques questions à Diana pour faire le lien entre Règne et Rébellion et le travail que nous effectuons dans les musées, puis nous ouvrirons la discussion.
Dans Règne et Rébellion, les Stuart servent de toile de fond pour comprendre l’évolution de la Virginie et des prémices de l’Amérique.
Mariruth : Diana, qu’est-ce qui vous a poussée à mettre en scène les Stuart dans Outlander ?
Diana : Ah, eh bien… l’essence d’une histoire, de n’importe quelle histoire, c’est le conflit.
Et donc je regardais l’Ecosse au 18ème siècle et je me suis dit que le point culminant du conflit en Ecosse à ce moment-là était le soulèvement des Stuart de 45. C’était donc une évidence.
Mariruth :
L’une des choses dont nous nous sommes rendu compte en faisant ce travail, c’est qu’il était vraiment très facile de faire reposer le concept de l’exposition entièrement sur les Stuart.
Mais nous avons déterminé que l’histoire la plus intéressante était en fait la façon dont leurs décisions ont influencé l’institution ainsi que les décisions que chacun prenait, à la fois en Angleterre et en Virginie, et la façon dont tout cela s’est développé.
Bien sûr, vous avez déjà développé des personnages très puissants en Jamie et Claire, ainsi que bien d’autres. Comment faites-vous pour équilibrer les personnalités vraiment importantes de l’Histoire, avec les personnages que vous avez déjà déployés ?
Diana : Eh bien, vous savez, les personnages historiques importants sont également des personnes. Ils sont… en fait… mon père était sénateur d’état. Je connais beaucoup de politiciens qui n’ont rien de spécial…
Mariruth : Nous sommes une institution d’État, donc nous ne dirons pas cela trop souvent.
Diana : Oui, exact (rires).
Mariruth : Les personnages historiques posent un problème intéressant. Si vous écrivez une fiction historique, comment allez-vous les traiter ? Qui allez-vous choisir parmi eux ?
Diana : Eh bien, certains d’entre eux comme Charles Stuart, je devrais dire Charles Edward Stuart… doivent être là parce j’ai choisi d’écrire sur quelque chose qui les concerne. De même, George Washington devait être présent au moins par intermittence dans « L’adieu aux abeilles ». Mais ce n’est pas un personnage principal, en ce sens qu’il se trouve simplement là et que nous admettons sa place.
Certains d’entre eux étaient importants parce qu’ils se trouvaient dans des endroits où mes personnages allaient les rencontrer de façon immédiate.
En ce qui concerne Charles Stuart, ils devaient trouver un moyen de l’arrêter, y compris de le tuer. Mais par chance, Jamie était catholique et ils ne l’ont pas fait. D’un autre côté, on peut se demander ce qui se serait passé s’ils l’avaient éliminé.
Mais il s’agit surtout de savoir comment humaniser des personnages historiques ? Et le meilleur moyen que j’aie trouvé est de chercher ce qu’ils ont écrit.
Si vous lisez les nombreuses lettres de quelqu’un, cela se transmet dans votre façon d’écrire. Par exemple, George Washington et John Adams ont écrit de belles choses, des lettres merveilleuses et éloquentes, adressées à la fois à leurs amis et aux femmes qu’ils aimaient. Et beaucoup de leur personnalité se retrouve dans ces lettres, ce qui vous donne une idée de la façon dont vous devez les dépeindre.
Mais ma règle de base pour traiter d’un personnage historique, est de ne pas le montrer comme ayant accompli quelque chose de pire que la pire action que je sais qu’il a faite. Parce que c’est trop facile de diaboliser quelqu’un. C’est un coup bas, pour ainsi dire. Or nous voulons dire la vérité autant que possible.
Cela dépend donc de leur position dans le récit, qui dépend à son tour de sa position dans l’histoire. Et c’est à l’intersection de ces deux éléments que vous trouverez l’endroit où ils rejoignent Jamie et Claire, ou un autre personnage important.
Mariruth : Je pense que l’élément humain est ce qui rend votre travail si fascinant.
Je crois que c’est pour cela que lorsqu’on le lit, on est immédiatement transporté dans le passé. Et les personnes sont ce qui rend cette histoire si importante et nous relie à eux.
Mais nous en histoire, nous tenons compte aussi ce concept de présentisme, dont le risque est de transférer trop facilement nos pensées et nos croyances dans le passé. Et nous travaillons très dur dans ce domaine pour essayer d’éviter cela, comme en utilisant les sources et la documentation dont vous parlez.
Vous avez des personnages qui ne sont pas seulement au 18ème siècle, ils sont au 20ème siècle ?
Diana : Au début du 20ème.
Mariruth : Ils vont et viennent, n’est-ce pas ? Alors comment pouvez-vous être sûre que vous n’imposez pas cette sorte de présentisme à vos personnages et que vous les laissez vivre leurs vies les plus authentiques possible à leur époque ?
Diana : (elle rit) Eh bien, j’existais à l’époque où ils vivaient, donc je sais ce qui se passait. Ainsi, je sais à quoi je pensais, ce que je voyais à la télévision, dans les journaux télévisés, etc. Je m’appuie donc essentiellement sur ma propre expérience.
Mais pour ce qui est du présentisme, je suis contre. Tout à fait. Une partie de l’objectif de l’histoire, qu’il s’agisse de non fiction ou de fiction historique, est de vous raconter comment c’était dans le passé. On ne peut pas le faire en essayant d’y imprimer… des attitudes éveillées ou en changeant la nomenclature des gens.
Je veux dire qu’il y a de bonnes raisons – le contexte étant l’une d’entre elles – pour lesquelles vous devriez à présent aborder certaines personnes comme une chose plutôt que leur nomenclature historique, qui leur a été donnée sans leur volonté etc…
D’un autre côté, qu’en est-il si vous parlez des circonstances où cela s’est produit, ne devriez-vous pas utiliser le vocabulaire qui était employé à l’époque ? Eh bien je pense que oui.
A ce sujet, je n’ai rencontré qu’une seule fois de légers problèmes. Et c’était avec l’éditeur britannique qui m’a informée qu’ils avaient dû engager un lecteur de sensibilité pour lire tous les éléments de leur liste et les conseiller en conséquence.
Il m’a dit que cette personne avait attiré son attention sur le fait que j’avais utilisé un certain terme dans mon livre qu’elle avait trouvé problématique.
Ce à quoi je réponds que c’est probablement son problème et non le mien. Mais je n’ai pas dit ça. L’éditeur avait joint la note de cette personne en particulier, et il était clair d’après son nom qu’elle était africaine.
J’ai répondu : « Bien, vous savez, elle a son contexte et j’ai le mien, et elle a le droit de l’avoir. Mais c’est moi qui ai écrit le livre. Attendez un peu, je vais voir si je peux résoudre le problème pour vous. »
Donc je… vous connaissez l’acteur Colin McFarlane qui joue Ulysse ?
C’est un de mes amis et donc en tant qu’acteur noir, etc… je lui ai écrit et je lui ai dit, voilà ce qui se passe. Donne-moi un avis honnête. Qu’en penses-tu ?
Il m’a envoyé ce petit paragraphe très éloquent et m’a dit que mes parents étaient issus de la génération Windrush.
Pour ceux qui ne le savent pas, après la Seconde Guerre mondiale, la Grande-Bretagne a connu une baisse de population suite aux nombreux décès dus à la guerre.
L’une des mesures prises a été d’inviter les Jamaïcains* à venir aider à repeupler le pays et le bateau qui les avait amenés…
*NdlT : Les Antilles britanniques étaient toujours membres de l’empire britannique à l’époque.
Excusez-moi… j’ai besoin d’eau. Le bateau qui les a amenés… Excusez-moi. Le bateau s’appelait le Windrush, un point très important dans le développement de l’après-guerre. Quoi qu’il en soit, Colin m’a raconté que ses parents sont arrivés sur le Windrush et que son père lui disait toujours qu’il ne fallait jamais oublier ce qui s’est passé.
(Diana est très émue à ce moment-là)
Excusez-moi. Cela m’a secouée qu’il dise « quel que soit le passé, ne l’oublions pas. Écris-le. Dis la vérité. » J’ai dit OK, n’oublions jamais.
J’ai donc décidé que le mot aller rester et j’ai envoyé ça à l’éditeur.
Mariruth : Oui, absolument. Et c’est certainement une difficulté à laquelle nous sommes confrontés de nos jours en essayant de trouver des moyens de dire la vérité sur l’histoire, dans sa totalité et dans ses nuances.
L’une des choses que nous saluons dans votre travail, c’est la façon dont vous êtes capable d’intégrer des intrigues d’une nuance incroyable, ainsi que cette représentation du passé, qui est vaste à bien des égards. Vaste et également profondément personnelle, ce qui est fantastique pour moi.
Lorsque nous organisons des expositions, les dimensions de nos murs ou panneaux d’affichage ne sont pas infinies.
Diana : Mais vous avez une profondeur de perception.
Mariruth : C’est vrai, on travaille là-dessus. L’une des choses auxquelles nous réfléchissons souvent, c’est la façon dont nous tenons compte de toutes ces nuances et essayons de les transposer dans notre étiquette explicative, qui compte souvent entre 50 et 100 mots maximum.
Nous devons donc faire en sorte que les explications soient vraiment succinctes. Vos livres offrent un espace beaucoup plus large que ce que nous pourrions avoir.
Diana : Oui, tout à fait.
Mariruth : Pourtant vous avez la même difficulté que nous à prendre des décisions concernant les événements historiques, les gens, les intersections que vous allez dépeindre dans vos livres.
En particulier avec la Révolution Américaine dans les derniers livres, avez-vous pris des décisions concernant les personnes qui seront incluses et les événements qui feront partie de vos livres ?
Diana : Eh bien, cela a beaucoup à voir avec les événements. Il faut que ce soit un événement auquel Jamie et Claire pourraient raisonnablement participer, pour une raison ou une autre. Et d’une manière qui mette en valeur leurs caractéristiques. Vous savez, les batailles sont pour eux l’occasion de briller, d’autant plus que j’adore les batailles. Alors je suis toujours à la recherche de ce qui serait, « une bonne bataille ». Celles qui marquent un tournant, comme par exemple Culloden, qui a sonné la fin de la culture des Highlands.
C’était un tournant capital pour beaucoup de gens.
Il y a eu d’autres événements. Monmouth a été une bataille majeure. Son issue a été très indécise. Personne ne sait encore qui l’a gagnée. Mais elle a été primordiale parce que les Américains n’ont pas perdu.
Et donc Yorktown est important parce que c’était… là, je touche à votre émotivité (Mariruth est à son tour émue).
Oui, Yorktown est important parce que c’était la dernière bataille de la Révolution Américaine. C’était un tournant. Et encore une fois, c’était capital parce que les Américains n’ont pas perdu. Mais ce qui était plus important encore est que les Britanniques ont définitivement perdu. Et cela les a poussés à s’arrêter.
Vous savez, et il a fallu attendre encore deux ans pour que tout cela se dénoue. Mais ce fut la dernière grande flambée d’hostilité. Le reste, c’était essentiellement de la politique et d’autres choses dont nous parlerons dans le livre 10. Mais c’était une chose très importante à faire.
En pensant à la Révolution Américaine, je me suis rendue trois fois sur le champ de bataille de Yorktown au cours des 30 dernières années parce que je songeais à l’utiliser à un moment ou à un autre. Mais cela fait au moins 12 ans que je ne l’ai pas arpenté, je suis donc contente d’être revenue, car il y a encore plus de choses à voir. Même si votre musée est tout récent, il est fantastique.
Mariruth : Je vous remercie.
Diana : (au public) Je recommande vivement leur théâtre de siège, qui vous fera revivre 3 ou 4 minutes de la bataille. Vous savez, littéralement, je ne suis pas sûre que les odeurs fonctionnaient quand j’y étais, mais l’effet ressenti était profondément émouvant et passionnant. Je le recommande vivement.
Mariruth : Je vous remercie.
Diana : Je vous en prie.
Mariruth : (au public) Si vous n’avez pas encore visité notre théâtre C, ici au Musée de la Révolution américaine de Yorktown, n’hésitez pas à le faire.
C’est l’une des choses sur lesquelles nous avons travaillé très dur et qui a été créée avant que je ne sois ici.
(A Diana) : Mais ce qui me frappe, c’est la façon dont vous amenez l’émotion, la perception du lieu, le sens de l’action, et aussi ce genre de récit personnel, parce qu’il est raconté à travers le point de vue d’une seule personne. Je trouve que vous rendez très bien cela dans vos livres : la perception du lieu et des gens.
Diana : Je vous remercie. Vous savez, c’est en partie purement technique.
J’avais l’habitude d’écrire des bandes dessinées pour Walt Disney, comme je l’ai dit. Et lorsque vous écrivez des scénarios, vous disposez de 8 pages et 8 vignettes par page.
En général, il n’y a que 6 vignettes parce que l’une d’entre elle est double, soit latéralement, soit de haut en bas. Vous n’avez qu’un nombre limité de dialogues.
L’histoire se déroule sur ces images. Il y a quelqu’un qui fait une action et quelqu’un d’autre, autre chose. Certaines images n’ont pas de dialogue.
Et puis il y a des petits morceaux de dialogue là où c’est nécessaire pour raconter l’histoire. Mais l’attention est concentrée sur ces images et le dialogue doit refléter le personnage et ainsi de suite. Mais ce sont des images en mouvement. Et quand on écrit, on décrit en fait l’image, et quelqu’un en Amérique du Sud la dessine.
Mais la première chose que l’on indique est : « Cadrage serré » pour un gros plan, ou « plan lointain », ou « plan moyen ». Ensuite, on décrit ce qui se passe, disons : en gros plan, Minnie et Mickey qui ont une conversation. Cela signifie deux têtes qui parlent. Ou Donald Duck assis dans un fauteuil avec des abeilles volant autour de sa tête, en plan moyen.
Et parce que vous avez besoin de quelqu’un regardant une vallée, c’est manifestement un long plan et vous voudriez utiliser une double vignette pour cela.
Mais la première chose à considérer est la perspective. Où êtes-vous dans ce plan ?
Et ce sens de la distance, du rapprochement, de l’éloignement, etc… est un moyen majeur de faire avancer l’histoire et d’indiquer à votre lecteur ou à votre spectateur ce qui est important. Et cela peut être important de différentes manières. Vous savez, un long plan peut être…wouah ! et un gros plan peut être… ouh ! etc… Mais l’alternance entre les deux est ce qui fait avancer l’histoire.
C’est donc avec cette expérience que je me suis lancée dans l’écriture de romans. Et cela m’a bien servi lorsque j’ai commencé à écrire des scénarios. Parce que c’était la même chose, mais avec plus de dialogues.
On m’a dit de ne jamais indiquer à un acteur comment jouer, cela les irrite. Et je peux comprendre pourquoi, après les avoir vus faire. Donc vous écrivez seulement, vous présentez ce qui se passe dans la scène très brièvement et vous faites le dialogue d’autre part. Et vous pouvez indiquer gros plan ou long plan, mais c’est le photographe qui décidera en fin de compte de ce qu’il fera. Mais on ne doit jamais dire à un acteur comment agir. OK.
Dans un roman, vous devez le leur dire. Mais vous ne devez laisser personne vous voir le faire. En d’autres termes, vous devez savoir qui est le personnage. Parce que l’intrigue d’un roman ou de toute autre histoire dépend du personnage principal. Et celle-ci dépend à son tour de ce que veulent le ou les personnages principaux.
C’est le moteur de l’histoire, c’est toute la motivation. Il faut donc commencer par se demander ce que veut cette personne.
Et vous savez, dans le cas de Claire, elle veut rentrer chez elle après avoir été transportée par inadvertance. OK. Pourquoi n’obtient-elle pas ce qu’elle veut ? Parce qu’elle a rencontré quelqu’un qui l’en a empêchée. OK. Et ensuite, que se passe-t-il ? Et cela continue ainsi…
Mon fils est également un auteur publié. Il écrit de la fantaisie épique, ce qui veut dire que c’est très violent mais excitant. Il s’appelle Sam Sykes. Nous discutons parfois d’écriture, il est très doué. Il n’a pas besoin de conseils, mais de temps en temps, nous parlons de ce qu’il fait ou de ce que je fais, etc. Et s’il dit : « Je n’arrive pas à faire avancer les choses ». Je demande : « Qui est le personnage principal ? Que veut-il ? »
Parce que si vous savez ce qu’il veut à ce moment-là, vous pouvez écrire ce qu’il va obtenir, comment il va y parvenir, etc.
Donc une histoire évolue en fonction des motivations des personnages. Il suffit donc de savoir qui ils sont et ce qui les fait avancer. Parfois, ce n’est pas le cas et il faut un certain temps pour… qu’ils s’ouvrent.
Pour moi, les personnages sont de 3 sortes. Il y a les champignons, les oignons et les noix. Les champignons sont les gens qui ne surgissent de nulle part puis s’en vont, pour chaque scène dans laquelle ils se trouvent. Lord John est un champignon. Je ne l’avais pas du tout prévu. Et les oignons sont des gens comme Jamie et Claire, qui sont, vous savez, l’essence même du personnage que j’appréhende immédiatement. Mais plus je travaille avec eux, plus ils deviennent piquants et ronds. Nous avons des couches supplémentaires.
Et puis les noix sont des durs à cuire, des gens avec lesquels je suis coincée à cause de la structure du livre. Comme Brianna, par exemple, elle devait être un personnage parce que Claire était enceinte à la fin du livre précédent. Je me suis donc retrouvée avec cette enfant, mais elle n’est pas née organiquement. J’ai donc dû vivre avec elle pendant un certain temps et la marteler pour découvrir ce qu’elle avait dans le ventre.
Mariruth : C’est fantastique. Nous allons parler d’un élément qui sera ma dernière question, puis nous aurons du temps pour une ou deux questions du public.
(Au public) : Je sais que cela ne vous rend pas justice, mais il y aura une séance de dédicaces après la conférence.
Diana, l’autre élément qui rend votre histoire si dynamique est la façon dont vous utilisez les sources historiques, mais aussi la culture matérielle ou les objets qui donnent vie à l’histoire à travers les environnements que vous créez dans votre projet d’écriture.
Alors, comment les trouvez-vous? Comment vous assurez-vous qu’ils ajoutent des détails d’une manière authentique ? Et ensuite, comment cela se traduit-il dans la série ? Parce qu’elle est également réputée pour son authenticité.
Diana : Oui, c’est vrai.
Eh bien, je visite des endroits comme celui-ci, je me rends dans des bibliothèques et ainsi de suite, mais vous avez raison. Oui, les objets décrivent une culture et décrivent les gens : ce qui est important, ce qu’il y a sur les étagères de votre maison, avez-vous des livres… ?
Avez-vous des fleurs ? Avez-vous les deux ? Moi-même, j’ai des poils de chien (rires). Oui, oui, c’est vrai.
Les objets matériels sont nécessaires en tant que contexte et c’est ainsi qu’ils sont traités dans un très bon musée comme celui-ci. Vous fournissez beaucoup de contexte et vous l’étayez avec ces merveilleux objets provenant de vos galeries. Sans parler de vos exemples vivants à l’extérieur, qui sont fabuleux. Un coup de canon a été tiré en mon honneur cet après-midi.
Mariruth : York offre le meilleur !
Diana : C’était formidable.
Mariruth : Oui, merci beaucoup. Cette description de l’histoire vivante, telle que nous l’exposons dans nos deux musées, je pense que vous la faites également dans votre écriture. Et je pense que tout le monde ici apprécie profondément la façon dont c’est transformateur.
Diana : Je vous remercie.
Question d’une spectatrice : J’aimerais savoir comment vous en êtes venue à écrire sur les Quakers, sur Denzel et Rachel Hunter ?
Diana : Eh bien, cela fait partie du contexte culturel. Je me disais qu’une des choses qui rendait l’Amérique coloniale intéressante était le nombre de personnes qui venaient d’ici, de là-bas et de partout ailleurs. Elles apportaient avec elles toutes sortes de choses, y compris leur religion, et étant donné à quel point les gens se disputent à propos de la religion, j’ai trouvé assez intéressant le fait qu’il y ait également ici des gens désireux de ne pas le faire. Ces personnes étaient là…
Je ne m’efforce pas d’être inclusive, que Dieu nous garde, ou d’inclure la diversité, que Dieu nous préserve encore plus. Mais il y en a beaucoup autour de nous et ça ne sert à rien de lutter… bref, des gens sont là, et je pense que c’est honnête et juste, en tant que romancière, d’inclure des personnes présentes à ce moment-là. C’est pourquoi nous avons une grande variété de cultures, de religions et ainsi de suite.
Et puis cela permet de disposer d’une couche distincte dans laquelle les gens explorent ce qui se passe en conséquence.
Question d’une spectatrice :
Pour moi, l’un des aspects les plus intéressants de votre écriture est le caractère réel de vos personnages, comment ils évoluent au fil du récit. Et je vois comment l’amour entre Jamie et Claire mûrit vers la fin des livres, il est très différent de leur amour du début. Et tout simplement leurs personnages.
Je me demande dans quelle mesure cela reflète votre évolution en tant que personne, parce que nous changeons tous en traversant diverses phases dans notre vie. Et je me demande si vous auriez pu les écrire tels qu’ils sont aujourd’hui quand vous étiez plus jeune ? Est-ce que c’est simplement le résultat de votre évolution personnelle ?
Diana : Oh non, les livres vieillissent avec moi.
En fait, ce que je pensais à l’origine quand j’ai écrit Outlander, était que les gens l’appellaient une romance, et c’est vrai que ça en a la base.
Mais vous savez, les romans d’amour constituent un seul roman. Ils n’ont pas de suite parce que pour le lecteur, l’histoire est terminée dès que la séduction s’arrête. C’est une histoire de séduction, un point c’est tout. Mais je pense que ce n’est pas comme ça que ça marche dans la vraie vie. Vous savez, il vaut mieux ne pas cesser d’être excité à la minute où l’on se marie. Je me suis donc dit que je ne voulais pas écrire à propos d’une séduction.
Je veux écrire sur ce qui fait que les gens restent mariés pendant 50 ans. En février prochain, mon mari et moi serons mariés depuis 52 ans.
Mariruth : Félicitations.
Question d’une spectatrice : Quel est le livre dont l’écriture a été la plus gratifiante pour vous ?
Diana : Eh bien, ils le sont tous. Il me faut plusieurs années pour en écrire un, vous savez, donc ils sont tous extrêmement gratifiants à leur manière.
Probablement que le plus intéressant à écrire techniquement a été « Le voyage » à cause de la façon dont sa structure fonctionne. C’était excitant de voir comment cela allait s’organiser, comment j’allais faire en sorte que Jamie et Claire se retrouvent.
Et cela commence avec Jamie qui pense qu’il est mort. On raconte donc ce qui se passe ensuite. En fait, il continue à vivre sa vie. Pendant ce temps, Claire part à sa recherche et raconte à Roger et Brianna ce qui arrivé dans le passé. Elle raconte donc leur vie rétrospectivement. Ils vont ainsi dans des directions opposées.
Et puis nous avons l’évolution de l’histoire d’amour entre Roger et Brianna qui se déroule dans le présent. J’ai donc cette narration tressée qui fonctionne dans la première moitié du livre.
Et une fois que Claire retourne dans le passé, le récit redevient une histoire à deux. Et à ce moment-là, il s’agit d’une aventure et d’une romance, ce genre de choses habituelles. Mais l’histoire est tressée comme une queue de cheval, ce que j’ai trouvé très amusant.
Mariruth : C’est fantastique. Merci d’applaudir Diana Gabaldon.
Note : pour en savoir plus sur le contexte de la conférence de Diana Gabaldon et sur la bataille de Yorktown, vous pouvez aussi retrouver mon précédent article ici
Diana Gabaldon va visiter Yorktown en septembre | Jamie sera à Yorktown dans le tome 10 d’Outlander